Vous ne pourrez pas dire que vous avez été pris au dépourvu. Avec ce premier tome (d’une série de trois), Valérie Mangin explore le procédé de la «mise en abyme». Ce principe artistique qui consiste « à représenter une œuvre dans une œuvre du même type », elle a décidé d’en explorer toutes les facettes. Pour commencer le bal, c’est Balzac, le grand romancier, qui sert de cobaye. Suivront dans le second opus le cinéaste Henri-Georges Clouzot et finalement, elle-même pour le tour final.
Lisant sa propre vie dans un roman, Balzac devient le héros involontaire d’un récit « dédoublé ». Sa vie « réelle » fait alors écho au roman qui la raconte. Vous l’avez compris, ce procédé nous fait glisser immédiatement dans le fantastique, sans oublier l’humour omniprésent.
En fine mouche, Valérie Mangin choisit ... de ne rien s’interdire. Entre littérature, roman policier, récit historique et comédie de situation, elle navigue, comme son héros, entre tous les genres.
Historique, Abymes aurait pu l’être. Solidement documentés, ses auteurs auraient pu nous proposer une biographie érudite de Balzac, ou même un nouvel épisode des Mystères de Paris. Mais non. Avec l’irruption du fantastique, tout est possible. Galvanisée par cette ouverture, Valérie Mangin se pique au jeu et invente une vie fantasmée de Balzac. Jouant entre réalité factuelle, faits méconnus et inventions incongrues, elle nous raconte une vraie-fausse biographie comique et jouissive. Bravo ! Utiliser un personnage public dans une vraie-fausse histoire, quel culot ! C’est « Mangin » tout craché.
Mise en scène
Les partis-pris de Mangin ont visiblement beaucoup d’avantages. L’icône « Balzac », tout le monde la connait (ou croit la connaitre). Exit donc la mise en place. Libérée d’une longue introduction, elle s’attaque donc rapidement au récit et plonge son héros au centre d’un maelström de sentiments. Le feuilleton expose à tous, sa vie privée et ses petits secrets. Ce qui provoque toute sorte de conséquences que Valérie explore avec gourmandise. Plus son « Balzac » est prisonnier de son alter ego romanesque, plus ses réactions s’emballent (étonnement, contentement, agacement, colère, paranoïa, furie...). Avec cette gamme d’émotions humaines, Valérie se joue de son « héros » avec beaucoup de cynisme et nous fait rire de lui.
Une fin « attendue » ????
En évitant de vous en dire trop, je peux avouer mon étonnement (voire ma déception) sur la fin de l’album. Là encore, Valérie casse les codes et finit par une non-fin. Comme il s’agit d’une série conceptuelle en trois parties, j’imagine que l’ensemble prendra un sens nouveau à la lecture des trois tomes. Enfin, je l’espère. Attendons donc avant de conclure au « plantage »...
Coté dessin
Chouette ! Griffo, au meilleur de sa forme, est de retour. Le vrai, le grand, celui que j’admire sur Giacomo C, Petit Miracle ou Sherman. Ce dessinateur très (trop ?) productif s’est visiblement investi sur cet album. Avec sa mise en couleur « directe » subtile et délicate, Griffo peint des décors superbes (ville glauque, intérieur bourgeois en clair obscur...). C’est un enchantement d’ambiances variées et détaillées.
Traités dans un style semi-réaliste (traits un peu exagérés), ses personnages sortent d’une galerie de portraits. Amusants, expressifs, il les croque à merveille. D’ailleurs, si vous êtes coutumier de ses précédentes séries, vous devriez y reconnaitre certaines « gueules ».
Le procédé de « la mise en abyme » est lui aussi, plutôt bien réalisé. Pour « traduire » ce dédoublement du récit (réel versus feuilleton), Griffo duplique ses cases avec un traitement graphique bien différent (façon gravure ancienne).
Ce que j’en pense
Décidément, cette année 2013 commence bien ! Après la belle découverte de Fantômas, le duo Mangin/Griffo nous embarque dans une brillante comédie policière et fantastique, début de siècle. Valérie Mangin a imaginé une vie fantasmée du grand écrivain étonnante et pleine d’humour, servie par le dessin et la couleur de Griffo. C’est un bon moment de détente, dont j’attends la suite avec impatience.
Jacques Viel
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