Abymes : quand l'oeuvre échappe, trois miroirs se reflètent à l'infini
La mise en abyme est un procédé artistique, d'abord visuel, qui consiste à insérer dans un tableau une représentation de ce tableau, dans laquelle figure, bien entendu, une image de ce tableau, et ainsi de suite à l'infini. Par analogie, dans l'ensemble des œuvres artistiques, on parle de mise en abyme ou d'effet de miroir notamment lorsqu'une œuvre met en scène un créateur qui lui-même est occupé à produire une œuvre ou un spectateur occupé à la regarder.
En bande dessinée, un des meilleurs exemples de ce dispositif se trouve sous le pinceau de Marc-Antoine Mathieu, qui, dans l'une des aventures de Grégoire-Corentin Acquefaques, amène son héros à lire la page de l'album dans laquelle la case est représentée, pour rapidement plonger le lecteur dans une chute à l'infini de Grégoire-Corentin Acquefaques lisant Grégoire-Corentin Acquefaques occupé à lire la page où Grégoire- Corentin Acquefaques découvre une planche de BD des aventures de Grégoire-Corentin Acquefaques où le héros est stupéfait de se voir représenter lisant une page d'album où Grégoire-Corentin Acquefaques lit sa propre histoire et ainsi de suite à l'infini.
Vous avez compris.
Vertige narratif
Valérie Mangin publie trois albums dont le scénario repose sur le procédé de la mise en abyme dans la collection Aire Libre chez Dupuis. Chacun des trois titres raconte une histoire de créateur confronté à l'apparition de sa propre histoire au sein de l'œuvre sur laquelle il travaille et, comme il se doit, en un magnifique jeu de miroir, les créateurs présentés dans les deuxièmes volets travaillent précisément à raconter la vie de l'artiste dont parlait l'album précédent. Ce n'est pas clair ? Rassurez-vous, la lecture de cette série intitulée... « Abymes » l'est à chaque instant.
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travaille et, comme il se doit, en un magnifique jeu de miroir, les créateurs présentés dans les deuxièmes volets travaillent précisément à raconter la vie de l'artiste dont parlait l'album précédent. Ce n'est pas clair ? Rassurez-vous, la lecture de cette série intitulée... Abymes l'est à chaque instant.Le premier tome raconte comment Honoré de Balzac se retrouve confronté à la publication par épisodes d'un feuilleton littéraire anonyme dont il est le héros et qui révèle tous les secrets honteux de son intimité. Le deuxième volet évoque les péripéties que rencontre le cinéaste Henri-Georges Clouzot dans l'immédiat après-guerre lorsqu'il tente d'adapter au cinéma cet épisode de la vie de Balzac. Le troisième volet, que je n'ai pas encore lu, tourne autour de l'adaptation en bande dessinée de ces deux histoires par une scénariste de bande dessinée appelée... Valérie Mangin.
Un Balzac époustouflant
Autant le répéter d'emblée (Actualitté vous l'avait signalé dès janvier dernier), le premier volet est magistral : l'affrontement entre Honoré de Balzac et le mystérieux auteur qui lui pourrit la vie est traversé par une énergie et une rage qui sont communicatives. Le tempérament du volumineux Balzac et sa détermination à venir à bout de son harceleur soulèvent le lecteur, on dévore l'histoire en courant, sur les talons du héros, entre l'imprimerie, le bureau de l'éditeur, le bureau de Balzac et les ruelles de Paris.
Une des habiletés du scénario est d'insérer dans la bande dessinée des vignettes et des planches en gravure jaunie qui transcrivent les pages du feuilleton et donnent à voir les personnages et les anecdotes, repris par un jeu de miroirs déformants sous la plume du mystérieux auteur.
Griffo, qui met en images ce premier volet exploite au mieux la plastique de son personnage : les expressions du visage de l'écrivain, la présence de son corps massif, aussi bien que la couleur et les différents registres de l'illustration auxquels le dessinateur fait appel font de cet album une vraie réussite où le scénario et le dessin sont d'une tonicité à toute épreuve.
Clouzot plus gris, plus terne
Le deuxième volet, situé un an après la libération de la France, dans une atmosphère de chasse aux sorcières où la CGT en veut à Clouzot d'avoir filmé dans les studios de l'occupant pendant la guerre, fonctionne moins bien, sans doute parce que le personnage du réalisateur est moins entier, moins révolté, et certainement parce que le travail graphique est beaucoup plus convenu, intégrant les extraits de films en bichromie dans les planches en couleurs, conservant le même traitement très raide pour toutes les scènes et les attitudes.On aurait aimé voir cet album dessiné lui aussi par Griffo, le relief et le tempo auraient été bien différents. C'est le défaut de ces séries publiées en rafales par les éditeurs pour réduire le temps d'attente des lecteurs : elles sont constituées d'épisodes d'une qualité trop variable. Il est difficile en effet de succomber au dessin très contenu de Malnati, certes efficace et personnel, mais beaucoup trop réservé pour cette histoire truffée de coups de théâtres et de complots, qui paraît du coup un peu artificielle et, étonnamment, assez conventionnelle dans son déroulement.
En particulier, dans la scène de confrontation finale, qui semble tout droit sortie d'un mauvais téléfilm d'après-midi, repiqué aux plus mauvais Agatha Christie, où les deux coupables se font des aveux certes intéressants pour le lecteur, mais parfaitement artificiels pour les personnages.
Reste à lire le troisième volet où la scénariste des deux premiers tomes se met en scène dans une ultime mise en abyme. Cela ne saurait tarder.
Nicolas Ancion
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