Au sujet de : Trois Christs article paru originellement en novembre 2010 www.auracan.com
Le mystère du linceul de Jésus
Depuis Da Vinci Code de Dan Brown et les collections ésotériques en romans ou en BD (la Loge Noire chez Glénat ou Secrets du Vatican chez Soleil), de nombreux auteurs s’interrogent sur des pans entiers de notre patrimoine cultuel ancestral autour des questions religieuses. Le projet ambitieux de Valérie Mangin s’inscrit certes dans cette mouvance, mais comprend trois scénarios sur le thème du Saint Suaire. Avec ce livre intelligent, la cofondatrice de la collection Quadrants questionne la croyance en Dieu. Valérie Mangin propose avec son compagnon Denis Bajram non pas de donner sa vérité mais de montrer « 3 visions parfaitement crédibles du phénomène, 3 arguments solidement étayés, 3 récits diablement bien menés et jubilatoires » comme le dit le site Quadrants.
En fait chaque récit est introduit et conclu par Fabrice Neaud qui signe des planches très réalistes en noir et blanc. Chaque chapitre est ensuite dessiné par Bajram dans un style différent, dessiné et peint avec l’outil informatique. L’album contient une grille de lecture très particulière, un genre de puzzle matriciel, qui permet de voir plusieurs interprétations de la même scène avec 700 citations d’images et de textes entrecroisées dans les trois récits. Les trois options principales expliqueraient le Saint Suaire par l’intervention divine prouvant que Dieu existerait, par une manipulation humaine mettant en cause la main de Dieu ou par la radioactivité. Chaque histoire se passe en Champagne à l’approche de Pâques en 1353 et présente les événements dans l’un de ces points de vue, et incite le lecteur à s’interroger lui-même et ne pas s’arrêter à une version qu’on lui impose.
Le sculpteur Luc arrive à Lirey pour terminer le retable du chapelain de Geoffroy de Charny. Dans le 1er chapitre, il a une vision de Jésus qui lui demande de délivrer le Mandylion de Constantinople enfermé dans le coffre du chevalier pour l’exposer dans l’Eglise. Dans le 2e chapitre, il se voit commander de réaliser un faux linceul pour attirer les aumônes des pèlerins. Enfin dans le 3e chapitre, il va servir de modèle à une relique réalisée du fait de la radioactivité d’une pierre…
Si les deux premiers récits sont assez cartésiens, le dernier est plus délirant et assez déroutant. Les auteurs se sont appuyés sur la présentation du fantastique par Tzvetan Todorov dans son introduction à la littérature fantastique. Le dessin de Bajram sans marquage de l’encrage offre un aspect mystérieux tandis qu’il joue sur les couleurs pour contraster les différentes chapitres. Au contraire, Fabrice Neaud utilise un style classique très bien encrée pour opposer les faits historiques par une ligne clairement tracée. Cette conception inédite vaut déjà le détour, d’autant que sur le fond, les auteurs permettent aux lecteurs de réfléchir sur un mythe important de notre civilisation en respectant l’authenticité historique, la foi religieuse et ajoutant leur éclairage.
Un triptyque intelligent en un volume à dévorer !
Manuel F. Picaud
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