1993. Étudiante, amatrice de bande dessinée, Valérie Mangin découvre un album ayant Balzac pour personnage central. Chose pour le moins étrange, cette BD est inconnue du libraire qui l'avait en rayon et la jeune femme est créditée comme scénariste.
Cinq ans plus tard, elle boucle une thèse sur l’auteur de La comédie humaine.Quelques semaines plus tard, elle trouve un autre album à la même série que celui qui, entre temps, lui a été dérobé. Henri-Georges Clouzot en est le protagoniste et elle est, une fois encore, mentionnée comme scénariste de ce titre qui affiche "Dépôt légal : 2013". Cette fois, elle n’a pas le loisir de le lire, un inconnu le lui ayant soufflé sur l’étal au détour d’un instant d’inattention. Ce livre n’est pas non plus référencé dans les bases de données officielles. Peu après, elle rencontre Denis Bajram, auteur. L'homme ne la laisse pas indifférente.
Après un premier volet intrigant, mouvementé et coloré mettant en scène un bonhomme et excessif Balzac, puis un deuxième, plus austère, centré sur Clouzot, invivable génie confronté à une période tourmentée de l’Histoire, voici donc l’ultime volume d’Abymes. À leur lecture, il ne faisait aucun doute que les deux albums précédents étaient liés entre eux sans pour autant que la lecture des deux soit indispensable à leur compréhension. Le constat est identique avec cette nouveauté. L’existence d’un lien est rappelée mais il n’opère ni comme un élément qui offrirait un éclairage nouveau à ce qui n’est pas une véritable trilogie (ni un triptyque), ni comme un révélateur qui permettrait de déchiffrer un propos dissimulé.
Mangin et Bajram, complices et unis dans la vie, s’appuient sur des situations réelles pour esquisser une réflexion sur le destin. Le constat né de la découverte de cette troisième partie est implacable et surgit dès les premières planches : l’intrigue est peu palpitante (bien moins que les deux autres), les dialogues sont réellement faiblards dans leur souci de « sonner vrai » et l’ennui qui saisit à la fréquentation des lieux et relations, sans doute chers aux auteurs mais qui relèvent de leur microcosme, est profond. La tentation de qualifier l’approche de nombriliste - à défaut d’être universelle pour toucher tout un chacun - est patente. Jamais la dimension paranoïaque et la tension qui s’empare du personnage de Valérie ne passe la frontière des cases et du papier pour être partagée. Et, à force de le rappeler comme pour s’en convaincre à la manière d’un slogan marketing, chacun aura compris que la collection Aire Libre, c’est pas de la gnognote !
Le dessin et les couleurs de Denis Bajram sont plaisants, le virage pris à une dizaine de pages de la fin tente bien de donner une dimension plus ambitieuse au discours, mais il est bien trop tard pour redresser la barre ou créer une sensation de vertige (que l’on partage ou non la vision exposée dans le final). L’intérêt ne sera pas réveillé et un début de passion pour Abymes - troisième partie ne naîtra pas. Une déception.
L. Cirade
Faire un lien vers cet article : ./infos.-revue_de_presse.html?direct=presse:166