Stefan Wul est le premier auteur de Sf que j’ai lu (Niourk, 1981) ; autant dire que je connais et apprécie l’animal… Cette adaptation, dans la collection dirigée par Olivier Vatine, est étonnante, attachante. Wul écrivait dans un contexte politique (en se défendant d’ailleurs d’en faire), économique et technique bien éloigné du cadre contemporain. Mangin et Civiello ont su retranscrire et préserver cette ambiance désuète, un rien surannée, par les costumes, les objets, en décalage avec la SF « moderne » fille de Star Wars. Ainsi, le casque colonial, le tromblon, ou le phonographe transparent, clins d’œil à une époque révolue, nous permettent d’accéder à un état d’esprit paternaliste et conquérant propre aux civilisations impérialistes du début du 20e siècle. Ce point de vue supérieur du Terrien sur l’autochtone, évoquant terriblement celui de l’homme blanc conquérant l’Afrique (à moins que ce ne soit l’Asie… ou les Amériques. L’Australie peut-être ?), est rudement mis à l’épreuve par le rappel à la dure réalité du fragile étranger confronté à l’abrupte nature sidarienne. : la beauté est parfois dangereuse, et un simple papillon peut vous laisser exsangue si vous n’y prenez garde ; à moins que vous ne deviez au contraire votre salut à un saut dans le vide. Bref, Lorrain ne s’ennuie pas. Mais, Rayons pour Sidar surprend et séduit. Ainsi, le Résident, sorte de Consul Terrien, suborné par la planète, y ayant perdu son alter ego mécanique, ne peut se résoudre à la quitter. Archétype du colonial paternaliste, il s’est cependant laissé gagner par la rudesse des lieux, la simplicité des habitants, et la nostalgie d’une Terre-mère idéalisée.
Emmanuel Civiello est un peintre. Ses pages sont des fresques, des interprétations artistiques du texte de Stefan Wul revisité par Valérie Mangin. Ce qui est rassurant à l’ère de la couleur numérique à tout prix. Le trait n’est là que pour structurer le dessin de façon poussée, en grand format (raisin) ; il disparaît ensuite sous les coups de pinceau de « remplissage », dixit l’auteur. Un côté «vieille école» en adéquation avec le parti pris rétro.
Je connais la fin de l’histoire, ce n’est pas du jeu. Mais il est amusant de constater que, malgré un manque de desciptions wuliennes dans le roman, la vision que j’en avais recoupe souvent celle de nos deux compères. Ah, le bon vieux temps des colonies !
Jérome Bertrand
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