Au sujet de : Trois Christs article paru originellement en octobre 2010 www.planetebd.com
Trois Christs
Le suaire du Christ, qui apparait à Lirey en 1353, est-il : a/ d'essence divine ? b/ une supercherie ? c/ de surprenante origine ? 3 fois la même semaine, à travers 3 interprétations. Une belle mécanique graphico-narrative pour une oeuvre éclairée !
Ce qu'on en pense sur la planète BD : Encore un thriller ésotérique !? Oui et non. Car à travers ce one-shot d’une centaine de pages, les auteurs Valérie Mangin et Denis Bajram déploient plutôt une démarche scientifique, c'est-à-dire dénuée des habituels stigmates du thriller ésotérique. En effet, a contrario de la pléthore de productions du registre, il ne s’agit pas ici de tirer le lecteur en équilibre et en longueur sur la fine frontière séparant l’occulte du rationnel. Il s’agit plutôt de décortiquer et de relativiser les paramètres mystiques du genre, en mettant en scène un même évènement, celui de l’apparition du « Saint » Suaire à Lirey en 1353, tout en lui accordant 3 interprétations différentes.
Première option : Dieu existe. Dans ce contexte, le suaire est vrai et la résurrection l’a réellement et divinement marqué du visage du Christ. Deuxième option : Dieu n’existe pas. Dans ce pan parallèle et cartésien, le héros Luc est un faussaire qui confectionne une empreinte sur commande, afin de renforcer la mainmise de l’Eglise. Troisième option : Dieu est… radioactif (oui, vous lisez bien). Dans cette dernière fantaisie, Valérie Mangin et Denis Bajram se sont clairement fait plaisir… mais on vous laisse le soin d’en découvrir les raisons.
La grande astuce du concept, est que ces 3 séquences d’une trentaine de planches chacune, montrent à 70% les mêmes évènements, les mêmes dialogues, voire les mêmes cases… mais tout a été mélangé, le sens en a été modifié, les rôles inversés, le rapport au temps bouleversé. C’est super malin et surtout parfaitement à propos pour la démarche de démystification : cela tend à démontrer que la réalité varie en fonction du regard du sujet, de son interprétation. L’unique limite de la chose, est que l’attention du lecteur, logiquement interpellé, a tendance à être focalisée par la mécanique de l’exercice, à défaut du fond de l’histoire. On tourne les pages dans tous les sens, on s’amuse des placements et du casse-tête narratif et graphique que sa confection a du représenter… et parfois on en vient à perdre de vue ce que ça raconte. Pour ceux qui voudraient creuser la chose, Valérie Mangin a poussé le vice jusqu’à éditer 3 tableaux de plus de 700 références croisées !
Evidemment, ce travail de titan a trouvé le bon vecteur artistique en la personne de Denis Bajram (rappelez-vous son schéma chrono-synoptique à l’issus d’UWO !). Ce maestro de la palette graphique, qui nous a bougrement manqué depuis la fin d’UWO, a déniché une brosse infographique culottée et surprenante, qui accorde une patine aussi originale qu’adaptée à l’ambiance médiévale baroque de cette triplette. Notons également que Fabrice Neaud introduit, conclut et réalise de brefs interludes entre les 3 séquences, en noir et blanc, pour à chaque fois délivrer le juste contexte historique et scientifique (pour la petite histoire, Christophe Bec et Thierry Démarrez devaient à l’origine aider Bajram sur une variation chacun). Bref, une œuvre maligne et éclairée… on n’en attendait pas moins de ce duo atypique !
Benoit Cassel
Faire un lien vers cet article : ./infos.-revue_de_presse.html?direct=presse:62