Abymes est une bande dessinée de l'auteur bien connue ici Valérie Mangin qui écrit des univers assez intéressants détournant l'histoire ou la projetant dans le futur, Luxley par exemple avec les Aztèques qui débarquent et qui prennent le contrôle du monde à l'époque de Robin des bois, le Fléau des dieux qui dans le futur opposent les huns au romain et dans la même veine le dernier troyen avec une Enéide version science fiction avec les effets spéciaux et tout. Abymes est une série en trois tomes dans laquelle on retrouve cette notion de détournement, d'une façon tout de même un peu plus différente. Le premier tome démarre sur Honoré de Balzac qui est en train d'écrire la peau de chagrin. Tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles si la revue dans laquelle il publie ses nouvelles ne l'avait pas viré pour mettre un autre auteur à sa place. La particularité de ces nouvelles et de cet auteur anonyme c'est qu'ils racontent dans les moindres détails la vie de Balzac sans aucune concession, des détails sordides qu'il est le seul à connaître jusqu'aux instants qu'il vit au moment même où il lit les nouvelles. Fou de rage, il décide de monter sur Paris et de mener l'enquête afin de trouver l'auteur, et par quel moyen il arrive à tout savoir. C'est très bien dessiné, par Griffo à qui l'on doit S.O.S Bonheur par exemple et on est réellement captivé jusqu'à la fin pour comprendre le prodige.
Donc un très bon premier tome et un second qui démarre d'une façon amusante, sur la réalisation d'un film après la guerre sur l'histoire qu'on a pu lire au premier tome, on est donc sur une espèce d'imbrication de l'histoire, pourquoi pas. On est donc dans l'après guerre, le réalisateur est accusé d'avoir collaboré et est donc critiqué, l'actrice principale est accroc à la cocaïne, enfin bref c'est pas réellement ce qu'on peut appeler la fête au village. Le pire c'est qu'au moment des rush on se rend compte qu'il apparaît des scènes qui ne devraient pas figurer, des scènes qui ne mettent pas en valeur les gens et qui montrent leur travers, des images qu'on n'aimerait pas voir. Les gens mènent l’enquête pour comprendre d'où ça vient, je ne vous dévoilerai pas une fois de plus l'épilogue mais après la lecture du premier tome on s'attend à quelque chose de prévisible et on ne s'y trompe pas.
C'est le troisième tome qui m'a donné l'envie d'écrire cette chronique, car je n'ai jamais lu un truc aussi prétentieux en 25 ans de lecture de bandes dessinées et je dis bravo, un grand bravo, plus pour la capacité d'avoir réussi à faire passer la pilule au niveau de l'éditeur, que pour le résultat de la bédé. On découvre une étudiante du nom de Valérie Mangin, oh mon dieu comme le nom de l'auteur, qui au détour d'une librairie parisienne découvre le premier album d'Abymes, elle s'étonne du fait de l'homonymie avec son propre nom. Intriguée elle effectue quelques recherches et pas plus. Quelques années plus tard elle tombe sur le deuxième tome et c'est le choc, l'album est daté de 2013, c'est totalement impossible, comme s'il venait du futur. Elle commence à mener sérieusement l'enquête et va donc découvrir l'univers de la bédé plus en profondeur, jusqu'au génial dessinateur et scénariste Denis Bajram à qui l'on doit notamment Universal War One qui manipule le temps et l'espace. Ils vont tomber amoureux, et on va les suivre, la fin de l'album que je ne vous raconterai pas n'est en fait qu'un simple prétexte pour raconter leur vie, car c'est bien leur vie qui nous est racontée. Un coup de Wikipedia plus tard et on se rend compte qu'à la ville Denis Bajram et Valérie Mangin sont mariés, et qu'ils se sont offerts le luxe dans un univers de bande dessinée difficile, où les séries même très bonnes sont coupées car pas assez bankables de s'offrir le luxe de raconter leur vie, de présenter leur lieu de vie, leurs potes, les libraires qui sont aussi leurs potes, un clin d’œil géant dans un tome complet. Bajram illustre d'ailleurs ce dernier tome d'une façon remarquable, c'est magnifique, mais un très bon dessin ne peut absolument pas réparer cette absence complète de scénario narcissique.
Étonnant, très étonnant, que des gens aussi brillants tant dans le dessin que dans l'histoire se soient offerts ce luxe pour moi inédit dans la bédé que d'enrober une histoire pour raconter ses souvenirs privés.
Cyrille Borne
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